2005 - La maison de l'artiste : construction d'un espace de représentations entre réalité et imaginaire (XVIIe-XXe siècles).


La maison de l'artiste, en tant que lieu de résidence, de rencontres et de création, a rarement été évoquée par la recherche contemporaine, la notion même de maison d'artiste étant soumise à la relativité du temps et de l'espace. Selon une approche diachronique et pluridisciplinaire impliquant une conception large de l'artiste, créateur ou exécutant, ce colloque aura pour objet l'étude dans le contexte européen de la valeur identitaire de la maison d'artiste, communautaire dans ses extensions, mais aussi au coeur de la création, support d'imaginaire et enjeu des relations particulières de l'architecte et de son commanditaire. La demeure d'écrivain, dont l'importance en tant que modèle est bien connue, ne sera abordée qu'à titre comparatif. La réflexion s'ordonnera selon trois axes de recherche :

I. Lieu architectural

Au coeur de la sphère privée, la maison d'artiste s'ouvre à la sphère publique lorsqu'elle devient un lieu de création, d'échanges et de culture. La demeure de prestige qui accueille les artistes peut être, par le biais de la commande officielle, le reflet de la politique culturelle d'un Etat. Dès l'époque moderne, la création de logements et d'ateliers dans la galerie du Louvre révèle de la part des autorités une prise de conscience des conditions de vie particulières d'une catégorie sociale. Aux XIXe et XXe siècles surtout, les cités et résidences d'artistes présupposent un véritable engagement des mécènes et des responsables politiques par l'intermédiaire de contrats et subventions. Confrontés à la réhabilitation de bâtiments anciens, ou travaillant ex nihilo, les architectes ont dû s'adapter aux normes de l'urbanisme et aux contraintes de leur cahier des charges. L'idéal de vie communautaire peut parfois s'effacer au profit de la fonction publique de l'édifice. C'est ainsi que le théâtre et le conservatoire présentent des spécificités architecturales liées à l'enseignement, à la diffusion et à la représentation. Espaces clos, ils sont néanmoins des lieux d'accueil pour un public en constante évolution. Le kiosque à musique, en revanche, représente l'ouverture symbolique de la maison vers l'extérieur au sein du tissu social. La fonction muséale peut aussi être une forme d'extension de la maison. Dans le domaine privé, ce type d'habitat, de la chambre à la riche demeure, de la résidence principale à la villégiature, pose la question de la véritable identité sociale du commanditaire. L'architecte peut alors l'envisager sous un double rapport : comme modèle d'une profession dans un souci d'élaborer des mises en oeuvre spécifiques et des aménagements singuliers, mais aussi, dans un jeu d'allusions comme le paradigme d'un style architectural ou du style de l'architecte. Objet de création, elle est aussi oeuvre en elle-même. Il s'agit dès lors de témoigner des relations de dépendance qu'entretiennent, dans le vécu du quotidien et dans l'inconscient, l'artiste et sa maison, l'architecte et son oeuvre.

II. Foyer artistique

Lieu de vie, la maison de l'artiste facilite des rencontres multiples. Lieu de travail et de négoce. L'atelier, l'agence d'architecture, la boutique jouxtant ou non les pièces d'habitation, sont les extensions naturelles de la maison. Plus ou moins ouverts sur l'extérieur, ils peuvent être intégrés à des réseaux économiques variés et étendus. Sur le plan social, la représentation iconographique de l'atelier a parfois une valeur signifiante. Lieu de sociabilité et d'échanges culturels. Les artistes en résidence contribuent volontiers au rayonnement culturel des institutions en France ou à l'étranger. Lieu de passage et de rencontre entre l'artiste et le public, l'atelier se métamorphose à l'époque moderne en salle d'exposition, en galerie. A partir du XIXe siècle, on y tient salon. Compositeurs et écrivains se rendent volontiers chez leurs amis peintres. L'atelier est à l'occasion théâtre de spectacles. Plus généralement, à l'instar de la demeure d'écrivain hébergeant des cénacles littéraires, la maison de l'artiste constitue un pôle de ralliement pour la jeunesse d'avant-garde, un refuge où les artistes partageant les mêmes convictions et les mêmes affinités aiment en toute convivialité se retrouver et discuter.

III. Lieu fantasmé et projection de l'imaginaire

En tant que reflet et support de l'imaginaire, la maison d'artiste est indispensable à la création. La vie quotidienne peut alors revêtir un aspect théâtral. L'invitation " chez soi ", la fête, sont occasions de mise en scène auxquelles les convives sont amenés à participer. Au XIXe siècle, des écrivains comme George Sand, Victor Hugo, les Goncourt ou Pierre Loti donnent le ton en proposant éventuellement la théâtralisation des intérieurs de leurs demeures. En outre, la vie de famille devient un sujet de composition musicale, en écho aux tableaux de genre et des intimités de Vuillard. Les compositeurs n'hésitent pas non plus à s'inspirer de leur vie domestique pour des oeuvres de grande envergure comme le poème symphonique ou l'opéra. Microcosme de l'univers mental de l'artiste, la maison parachève éventuellement l'itinéraire d'une vie. Enfin, la maison peut être identifiée à la démarche de l'artiste contemporain. Lorsqu'il s'agit d'un lieu privé livré à la curiosité du public, la maison pose des problèmes spécifiques dans le domaine de la muséographie auxquels la volonté de l'artiste, le désir de postérité et l'évolution du goût ne sont pas étrangers (atelier de Brancusi). L'enjeu de ce colloque sera donc d'évaluer la pertinence de l'existence du concept de la maison de l'artiste et d'effectuer le lien entre la sphère des relations sociales et le domaine de la création pure. A cet égard les sources les plus diverses seront analysées, de l'inventaire après décès aux traités, mémoires, correspondances, peintures, photographies, jusqu'à l'oeuvre elle-même, la maison, l'atelier et, au-delà, la demeure musée.

Comité scientifique

Luce Barlangue (université Toulouse II), Myriam Chimènes (CNRS), Patrick Michel (université Bordeaux III), Jean Mongrédien (université Paris IV), Nabila Oulebsir (université de Poitiers), Christine Peltre (université Strasbourg II), Anne Piéjus (CNRS), Marie-Luce Pujalte (université de Poitiers), Alain Quella-Villéger (écrivain, Poitiers), Daniel Rabreau (université Paris I), Marie-Reine Renon (université de Poitiers), Herbert Schneider (université de Sarrebruck), Jean-Roger Soubiran (université de Poitiers), Patrice Veit (CNRS).

Comité d'organisation

Département d'Histoire de l'Art : Véronique Meyer et Solange Vernois. Département de Musicologie : Cécile Auzolle et Jean Gribenski. Université de Poitiers, UFR Sciences humaines et arts 8, rue René Descartes 86022 Poitiers Cedex.

Programme

Mardi 8 novembre : Lieu architectural.

Présidence : Daniel Rabreau (Université Paris I)

10 h 30 : Isabella PALUMBO-FOSSATTI (Maître de conférences, Université d'Amiens), Maisons et ateliers vénitiens au xviie siècle.
11 h :  Michèle-Caroline HECK (Maître de conférences, Université Lille III), Les transformations de la maison d'artiste au xviie siècle : l'atelier comme lieu d'expérience d'une nouvelle conception de la peinture.
11 h 30 : Christophe MORIN (responsable Centre de documentation, Université Paris I), Les Maisons d'artistes dans le « milieu à la grecque », 1760-1780.

Présidence : Patrice Veit (CNRS, Paris)

14 h : Marie-Luce PUJALTE (Maître de conférences, Université de Poitiers), L'hôtel de Mme Vigée-Lebrun ou l'interprétation singulière d'une maison d'artiste.
14 h 30 : Aline LEMONNIER-MERCIER (Doctorante, Université Paris I), La maison de Paul Michel Thibault, architecte de la ville du Havre, dite « Maison de l'armateur », 1790-1800.
15 h : Nicolas SOUTHON (Doctorant, Université de Tours),  « Wahnfried, qu'ainsi par moi cette maison soit nommée » : Richard Wagner à Bayreuth.
16 h 30 : Pierre VAISSE (Professeur honoraire, Université de Genève), La maison d'artiste comme type architectural et image de l'artiste (début xxe siècle).
17 h : Heliana ANGOTTI (MSH, titulaire de la chaire Sergio Buarque de Hollande),  La maison d'Oscar Niemeyer.
17 h 30 :  Matthias NOELL (Assistant à l'Ecole Polytechnique de Zurich, Institut Histoire et théorie de l'architecture), La maison de Théo van Doesburg à Meudon, laboratoire de la vie moderne.

Réception à l'UFR

Mercredi 9 novembre : Foyer artistique.

Présidence : Jean Mongrédien (Paris IV)

9 h : Marc FAVREAU (Maître de conférences, Université Bordeaux III), Le Brun aux Gobelins. Le centre de la création artistique royale sous le règne de Louis XIV (1663-1690).
9 h 30 : Koenraad BROSENS (Postdoctoral Fellow of the Fund for Scientific Research-Flanders, Université de Louvain), Establishing repute. Houses and shops of Brussels Tapestry entrepreneurs around 1700.
11 h : Klaus HORTCHANSKY (Professeur, Université de Münster), La « maison ouverte » à l'époque des Lumières : Klopstock, C.Ph. E. Bach et leurs amis à Hambourg.
11 h 30 : Matthias BRZOSKA (Professeur, Folkwang Hochschule, Essen), Le salon musical berlinois, germe du Romantisme.

Présidence : Myriam Chimènes (IRPMF-CNRS, Paris)

14 h : Hugh MACDONALD (Professeur, Washington University), La géographie musicale de Paris sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire.
14 h 30 : Constance HIMELFARB (Professeur, CNR de Caen), Les salons de Zimmerman : une demeure d'artiste professionnel au Square d'Orléans dans le Paris de Louis-Philippe.
15 h : Henri VANHULST (Professeur, Université Libre de Bruxelles), Les  séances de musique de chambre chez Charles de Bériot.
16 h 30 :  Caterina ZAPPIA (Professeur, Université de Perugia), Le Prieuré, « terre promise » de Maurice Denis.
17 h : Maria Grazia MESSINA (Professeur, Université de Florence), Raumdichtungen. La  « poésie de l'intérieur » à la Künstlerkolonie de Darmstadt.
   
Le soir : concert.

 

 

 

Informations

8-10 novembre 2005.
Colloque international, Université de Poitiers, GERHICO (Groupe d'Etudes et de Recherches sur l'Histoire du Centre-Ouest atlantique), Compte-rendu publié dans la Revue de musicologie 91/2 (2005), p. 498-500.